La péridurale

Extraits de  Pour une naissance à visage humain de Claude Didierjean-Jouveau


    Il n'est pas question d'entreprendre ici le procès de la péridurale qui dans un certain nombre de cas, évite que la femme ne « perde les pédales » et ne garde de l'accouchement un souvenir cauchemardesque (on estime à environ 15% les accouchements où le ressenti de souffrance dépasse les capacités d'endurance de la femme), mais bien de mettre en cause la péridurale systématique (une moyenne de 58% en 1998 -- chiffre de l'enquête périnatale --, mais près de 100% dans certains services) qui a permis à beaucoup de maternités de ne pas avoir à réfléchir sur leurs pratiques et sur les conditions de la naissance en général, et a transformé les femmes en objets passifs, dépendantes d'un geste médical pour leur bien-être, et tellement déconnectées de ce qui se passe dans leur corps qu'elles peuvent faire des mots croisés ou regarder la TV pendant l'accouchement...

    Au risque de paraître rétrograde, je dirai que la douleur de l'accouchement (si elle ne dépasse pas un seuil tolérable, variable d'une femme à l'autre) n'est peut-être pas le mal absolu qu'ont voulu présenter certain(e)s. Dans la vie, toute activité physique intense s'accompagne de sensations éventuellement douloureuses. Qu'on pense notamment à la plupart des sports. Il ne viendrait à l'idée de personne de recommander à un alpiniste d'insensibiliser ses jambes pour éviter les courbatures... Evidemment, on peut prendre le téléphérique, s'il existe, au lieu de grimper. Mais la satisfaction d'être arrivé au sommet sera-t-elle la même dans les deux cas?

    Plus de femmes qu'on ne croit gardent de la péridurale l'impression d'avoir été « volées» de leur accouchement. N'est-ce pas parce qu'on leur a vendu le ticket pour le téléphérique sans leur dire qu'elles étaient peut-être tout à fait capables de grimper toutes seules?

    Il suffit d'écouter les femmes qui ont pu vivre pleinement leur accouchement, accoucher avec leurs propres hormones comme dit Michel Odent, les entendre dire la fierté qu'elles ont éprouvée, la force qu'elles ont découverte en elles, la façon dont cela a changé leurs perspectives et influencé leur vie entière, pour se dire qu'il est vraiment dommage que tant d'autres passent à côté de cela, simplement par manque d'information et donc de choix réel. Mais peut-être a-t-on justement peur de cette force des femmes?

    Comme le disait une femme qui après un premier accouchement « sous péridurale » plutôt mal vécu, avait choisi d'accoucher sans anesthésie pour le second: « J'ai mis au monde mon bébé et c'était formidable. Je ne dis pas que souffrir est formidable, mais le fait de comprendre, de ressentir, d'agir et de se sentir tellement forte ».

    Ce qu'on ne dit pas non plus, c'est que la péridurale trouble le déroulement du travail (elle peut entraîner une diminution importante de la qualité et de la quantité des contractions; elle peut engendrer une chute de tension; elle oblige la femme à rester immobile, de préférence allongée sur le dos), qu'elle perturbe l'expulsion (en diminuant la mobilité musculaire du bassin, elle peut entraîner un mauvais engagement de la tête du bébé; diminuant les sensations au moment de la « poussée », elle entraîne plus d'extractions instrumentales par forceps ou ventouse), qu'elle a ses ratages (les femmes insensibilisées à moitié par exemple), ses effets secondaires possibles pour la mère (notamment des maux de tête pouvant être très invalidants pendant un bon moment et empêcher la mère de s'occuper de son enfant), et qu'elle semble, d'après les dernières études publiées, ne pas être sans conséquence sur l'état du bébé, sur ses capacités de succion et donc sur le démarrage de l'allaitement. Une étude datant de 1992 <5> notait par exemple que les mères ayant reçu une péridurale passaient moins de temps à s'occuper de leur bébé pendant le séjour à la maternité. Les bébés étaient moins éveillés, moins toniques et avaient moins d'interactions avec leur mère. Ils étaient moins capables de s'orienter et avaient des mouvements moins organisés, ce qui entraînait souvent des difficultés d'allaitement. Cela pouvait perdurer pendant tout le premier mois de vie du bébé. D'autres études plus récentes ont confirmé ces résultats, observant des bébés léthargiques, peu intéressés par le sein et ayant des problèmes de coordination succion déglutition-respiration.<6>

    Dans les magazines, on parle depuis quelque temps de « péridurale ambulatoire » (où la femme n'aurait pas les jambes insensibilisées et garderait donc sa liberté de mouvement) et de monitoring n'obligeant plus à rester allongée sur le dos sansbouger. Cela représenterait incontestablement un progrès par rapport à ce qui se passe actuellement, et diminuerait les inconvénients cités plus haut. Mais les enquêtes montrent que rares sont les maternités à être ainsi équipées.

 

    <5> Sepkoski, C., et al, « The effects of maternal epidural anesthesia on neonatal behavior during the first month », Dev Med Child Neurol 1992, 34: 1072-1080.

 

    <6> voir notamment J. Needs, « Suckling, swallowing and breathing: the effects of pethidine epidurals », et A. Smith, « Pilot study investigating the effect of pethidine epidurals on breastfeeding », Conference of Austr Lact Cons Ass, Aug 1996, B Rev, May 1997, 40.

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