La Vierge de Moissac
La Vierge de Moissac
Ce n’est pas parce qu’on est le fils de Dieu, que le lait de cette m ère n’est pas bon !
D’une main il se réserve déjà le sein droit, et le sein gauche pour le moment, on peut dire qu’il a affaire à un glouton !
Il y a une éternité par lui que ce fruit était désiré.
Etonnez-vous que maintenant il se jette dessus comme pour le dévorer !
Elle jusqu’au fond de sa chair frémit et de toutes ses forces à la fois elle maintient l’impitoyable nourrisson.
Elle crie et elle rit tout bas et elle dit que c’est épouvantable et que c’est bon !
C’est à son cœur directement qu’il en veut par le moyen de cette bouteille.
Il est attaché à son âme, manger, manger et boire pour lui, manger et boire c’est pareil !
Elle n’avait pas qu’à dire Oui, et quelqu’un, quand il se jette dessus,
Ce n’est pas de la pitié qu’il lui faut attendre de l’Enfant Jésus !
Tout à coup il en a fini, le voici violemment qui se rejette contre son épaule,
Il a envie de la regarder, et tout de même, cette maman humaine, comme c’est drôle !
Elle aussi le regarde, et en effet comme c’est drôle, cet enfant qu’elle partage avec Dieu le Père entre ses bras !
Elle sourit, et lui, de la voir, prête à rire, il se met à rire aux éclats !
Paul Claudel
Visages Radieux/Gallimard